Tribune de Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l’enseignement, publiée dans L’Humanité du lundi 14 janvier 2018.

Le gouvernement a, semble-t-il, décidé de mettre en chantier une révision de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat. Fondement de la laïcité républicaine, ce texte ne saurait être retouché que d’une main tremblante.

UNE LOI DE PRINCIPE

Si la loi de 1905 a pu sembler une loi de circonstance ou, plus exactement une loi imposée par les circonstances qui en ont précédé l’adoption comme le raidissement réactionnaire de l’Église  catholique et la compromission d’un certain nombre de congrégations dans le camp antidreyfusard, la qualité des débats parlementaire qui, aujourd’hui encore, en éclairent la philosophie, le génie politique des acteurs de sa confection que furent Aristide Briand, Jean-Jaurès, Francis de Pressensé ou Ferdinand Buisson et, enfin, la finesse de rédaction de ses dispositions en ont fait une loi de principe inspirée par le logique de liberté.

L’esprit en est tout entier exprimé dans ses deux premiers articles. « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le  libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public », précise le premier, reprenant, pour l’essentiel les dispositions de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », est-il indiqué dans le deuxième. Même si le mot laïcité n’est jamais mentionné, personne ne doute que la loi de 1905 constitue le socle de la laïcité républicaine française. Aucune boursouflure idéologique, simplement un mode d’organisation des relations entre l’univers de la confessionnalité et celui de l’intérêt général incarné par l’Etat, reposant sur une neutralisation confessionnelle des institutions. Chacun est désormais libre de croire, de ne pas croire, de changer de religion, d’adopter les pratiques que lui recommande son culte, dès lors que cela ne trouble pas l’ordre public démocratiquement défini, mais chacun est, par ailleurs, responsable du financement du culte auquel il adhère.

Les autres dispositions du texte ont leur importance et leur intérêt propre, qu’il s’agisse de l’existence (article 4) ou du statut (articles 18 à 24) des associations cultuelles, de la police des cultes (articles 25 à 36), même si certaines d’entre elles ont perdu de leur actualité comme celles relatives au régime de transfert des biens affectés culte avant 1905.

Certes, entend-on, régulièrement évoquer les modifications dont la loi aurait fait l’objet, mais qui en dehors de quelques aménagements cosmétiques se limitent à deux, celle opérée de façon périphérique par la loi du 2 janvier 1907 destinée à éviter que le catholiques n’aient à pâtir de l’intransigeance réactionnaire du Vatican, et celle introduite sous le régime de Vichy par la loi du 25 décembre 1942 et accordant aux associations cultuelles la grande capacité juridique leur permettant de recevoir des dons et legs sans droit de mutation.

Cette loi de liberté constitue encore aujourd’hui le meilleur rempart contre les tentatives de récupération identitaire ou de travestissements essentialistes de la laïcité.

LES OBJECTIONS OPPOSÉES À LA RÉVISION

Le projet de révision se heurte à plusieurs ordres d’objections.

Le premier est d’ordre symbolique. Depuis 113 ans la loi de 1905 a garanti une paix religieuse intelligente, y toucher c’est prendre le risque d’en rompre l’équilibre subtil. Le contexte politique de l’heure est lourd du risque de voir l’ouverture d’un débat parlementaire s’apparenter à celle de la boîte Pandore, chacun cherchant à y intégrer ses fantasmes ou ses détestations. Il convient d’éviter toute démarche qui conduirait à faire qu’une loi de liberté devienne une loi d’interdiction, les exigences d’un ordre public plus acrimonieux que républicain balayant la dimension de liberté publique de la laïcité.

Le deuxième est d’ordre pratique. Avant toute autre considération, il importe de se demander, dès lors qu’elles auront été explicités et justifiées, si les modifications de l’ordonnancement juridique envisagées relèvent du domaine de la loi, de celui du règlement ou, plus simplement de simples circulaires ministérielles. Qu’il s’agisse de questionnements relatifs à la police au sein des édifices du culte et de la répression de propos séditieux qui pourraient être tenus par des ministres de quelque culte que ce soit, du mode de financement des cultes, des modalités de gestion des biens affectés au culte, soit la loi, éclairée par la jurisprudence du Conseil d’Etat, comporte les réponses utiles, soit des dispositions de nature réglementaires explicitant les dispositions de la loi permettraient d’y répondre.

Le troisième est d’ordre politique. Rien ne serait pire que de donner le sentiment, comme certaines informations glanées ici ou là le laissent entendre, qu’il s’agit, une nouvelle fois et dans une logique napoléonide, pour l’État de doter le culte musulman d’une organisation voire de le soumettre à une obligation particulière de gestion de ses biens affectés à l’exercice du culte. Outre que la neutralité confessionnelle de l’Etat, lui interdit d’organiser, dès lors qu’il ne le reconnaît pas, un culte quel qu’il soit, si des questions se posent, la réponse qui peut leur être apportée ne passe pas par une révision de la loi du 9 décembre 1905.

Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l’enseignement