Image : Antoine Escuras / Journaliste : Grégoire Osoha
A quelques kilomètres de Joué-du-Bois – ça ne s’invente pas -, une association ornaise fait la promotion des jeux traditionnels et de société pour créer du lien et favoriser le développement de tout un chacun.
« Chi-fou-mi ». Pour déterminer qui entamera leur partie de hockey sur table, Prune, dix ans, joue à pierre-papier-ciseaux avec sa grand-mère. Elles ne se doutent pas qu’à quelques pas derrière, Albert, responsable de l’association Les amis des jeux, les observe discrètement. La scène se déroule sur la base de loisirs de La Ferté-Macé, dans le département de l’Orne, un après-midi de la fin du mois d’août. Quelques instants auparavant, Albert est arrivé sur le site avec une dizaine de jeux en bois qu’il a installés à mi-chemin entre le parking et la plage.
Partie de hockey sur table
Les drôles de noms des jeux en plein air
Rapide comme l’éclair, Albert a disposé sur un carré de pelouse – encore vert, malgré le soleil de plomb qui écrase la Normandie en cette fin d’été – un kubb, un bamboléo, un cornhole, un boultenn, etc. Ces mots ne vous disent rien ? Rassurez-vous, aux pratiquants de la base de loisirs non plus. Mais pas besoin de connaître le nom de ces jeux pour s’y adonner. La plupart se comprennent instinctivement. Et lorsque certains joueurs hésitent ou s’y prennent mal, Albert accourt pour expliquer les règles, le sourire toujours fringant sous son épaisse moustache blanche comme neige. Pendant ce temps, Prune vient de marquer le premier but de sa partie de hockey.
Les Amis des jeux sont nés en 2014. Le projet a rapidement séduit Albert, ancien responsable du service Education et Jeunesse de La Ferté-Macé. « Le jeu, c’est un puissant vecteur d’émancipation pour les individus. Et c’est aussi un espace où l’on crée du lien, où l’on fait société. Pour jouer, il faut accepter les règles, que ce soit dans l’opposition ou la coopération. C’est aussi l’apprentissage du respect de l’autre car jouer, ce n’est pas être côte-à-côte mais c’est faire ensemble. » L’association compte une trentaine d’adhérents qui se sont tous formés sur le tas. Plusieurs d’entre eux sont bricoleurs et la plupart des jeux d’extérieur ont donc été fabriqués par leurs soins. A l’instar du jeu de la meule qui, paraît-il, plaît beaucoup aux quinquagénaires en fin de journée, lorsqu’il est question de savoir qui paiera l’apéro.
L’été terminé, les membres des Amis des jeux quittent la base de loisirs pour se réunir dans leur local de la rue de Versailles, tous les vendredis soirs ainsi que les mardis et jeudis après-midi pendant les petites vacances scolaires. L’association met aussi à disposition ses jeux pour des intervenants en maisons de retraite, en maisons familiales rurales ou auprès de familles en situation de précarité. Depuis trois ans, un volontaire en service civique est également enrôlé par Les amis des jeux et mis à disposition de la ville pour l’animation de temps périscolaires. Pour compléter le tableau, l’association propose un service de location de ses jeux à tarifs ultra-réduits pour ses adhérents. Albert refuse cependant l’appellation de ludothèque du fait de l’absence d’un véritable professionnel capable de conseiller les utilisateurs sur le choix des jeux.
Le jeu au service du développement social et cognitif
Sur la base de loisirs de La Ferté-Macé, tout continue de bien se passer pour Prune qui mène maintenant deux à zéro contre sa grand-mère. A quelques encablures, le manège payant qui diffuse un remix des Gypsy King, profite de l’attractivité des jeux en bois installés par Les Amis des jeux qui, eux, sont totalement gratuits. « C’est un principe fondamental pour nous. C’est ce qui nous permet de toucher des publics populaires qui ne partent pas en vacances » détaille Albert, pour qui Nicolas de Condorcet est une figure de référence. « Comme lui, je crois fermement que toute personne a le droit à une éducation, et que c’est cette éducation qui permet à chacun de trouver sa place dans la société. » Maîtrise de soi, résolution de problèmes, attention, gestion des conflits, adresse : autant d’apprentissages mis en avant par Les Amis des jeux dans leur plaquette de présentation.
Je crois fermement que toute personne a le droit à une éducation, et que c’est cette éducation qui permet à chacun de trouver sa place dans la société.
De l’adresse, Prune en a à revendre. La voilà qui, d’un joli coup de poignet, vient d’envoyer pour la troisième fois le mini-palet de hockey dans les cages de sa grand-mère. Albert lui propose de s’essayer à l’ascenseur, un jeu qui réclame beaucoup de concentration et de coordination puisqu’il consiste à diriger une bille sur un plateau avec un système de cordages, un peu à la manière d’une marionnette ; le tout, en prenant soin d’éviter les trous qui jonchent le parcours. Derrière elle, quelques badauds en maillot de bain s’essayent au boultenn, une sorte de pétanque bretonne dont le but est de faire tomber des boules en métal d’un billot en bois à l’aide d’une autre boule en métal. La plupart s’en sortent plutôt bien, mais aucun ne parvient à faire un « coup magistral », c’est-à-dire à faire en sorte que la boule que l’on a lancé éjecte une boule du billot et se fiche à sa place. Une sorte de carreau comme il est coutume de dire pour la pétanque. Quoiqu’il en soit, la bonne humeur est au rendez-vous. Deux jeunes couples franco-anglais se charrient gentiment après chaque lancer plus ou moins raté.
Les joueurs fertois concentrés et appliqués
Parfois, lorsque suffisamment d’enfants se réunissent autour des jeux, les bénévoles de l’association leur proposent de jouer à la Tour de Fröbel, un jeu coopératif qui peut réunir jusqu’à seize personnes dans la version des Amis des jeux. Objectif : constituer ensemble une tour à partir de plusieurs pièces en bois sans la faire basculer. « Quand ils jouent à ça, les enfants sont super calmes. Ils retiennent leur respiration et s’encouragent doucement les uns les autres. Des enseignants m’ont déjà demandé s’ils pouvaient emprunter le jeu pour le mettre à disposition dans leur cour de récréation. C’est dire ! » commente Albert.
Pour Les amis des jeux, les projets d’avenir ne manquent pas. La création d’un club d’échecs est dans l’air, tandis que certains adhérents aimeraient enfin réussir à dompter le concept d’escape game. En attendant, chacun reste à l’affût des nouveautés, notamment via l’actualité des festivals ludiques internationaux de Cannes et Parthenay. De quoi alimenter pour de nombreuses années encore les étagères du local de la rue de Versailles et le carré de pelouse de la base de loisirs. Sans compter le parc Barré-Saint de La Ferté-Macé que l’association investit depuis trois ans pour célébrer la fête mondiale du jeu au début de l’été. Un riche ensemble d’activités pour les bénévoles qui, fort heureusement, n’en oublient pas pour autant, de prendre du temps pour jouer eux aussi.